Et les amis
Une journée normale, pour un début de texte normal avec ses phrases courtes et blasées. 7 h 47, fait pas chaud. Pas loin de froid. Ca sent la clope à l’entrée, je me faufile entre un bestiaire aux couleurs ternies par le matin qui s’accroche à mes yeux. Des brides de conversation qui roulent sans moi tombe dans mon oreille de sourd. « Personne n’est parfait, moi-même j’ai une hygiène dentaire déplorable » « Vive la barbe » et autre « fufuluf » fatigués. Alors que je double une grappe de dreadlock soignée, je tombe nez à nez avec un de ces faciès qui semble avoir roulé sur plusieurs kilomètre dans de la boue malodorante, de ces boues qu’on n’utilise peu dans les bains pour la peau, si vous voulez. Il sourit, enfin au moins ses muscles buccaux se tordent alors je lui crache dans l’œil et je passe sans même prendre le temps de l’assommer.
Dans l’allée menant au bat C, je suis deux jeunes filles mal vêtues comme il faut, et, me translatant à une vitesse égale et gardant ainsi une distance entre elle et moi constante, je peux suivre, malgré moi, plus au long, leur discussion comme un invité clandestin. « Tiens, hier j’ai eu une révélation – Ah ? - Ouais, tu vois j’me souviens en primaire j’étais toutes fière parce que j’savais, enfin j’croyais savoir l’étymologie de PD, et quand les autres balançait ça j’faisait « ouais d’abord vous savez pas ce que ça veux dire », et en fait j’étais persuadé que ça venait de pédophile, tu vois – ah ouais – ouais bah en fait en y réfléchissant, hier – comme ça tu te pose des questions toi – ouais enfin voilà j’sais pas du tout pourquoi mais j’me suis rendu compte qu’en fait ça venait de pederastre, et sur le coup chais pas ça m’a étonné » et l’autre de rire. J’essaye de les doubler, presque par politesse pour leur laisser leurs secrets mais dès que j’accélère elles allongent aussi le pas, et bientôt je ne peux tenir la distance et me range, vaincu.
Enfin j’arrive dans la grande cour grise, aussitôt le monde disparaît et je n’ai plus qu’un objectif, qui dissipe totalement les brumes résiduelles de mon esprit du dimanche, le coin du mur. Celui où s’agglomèrent déjà quelques camarades enjoués. Comme d’hab, le matin ça discute politique. On a un pote vachement marrant, il arrête pas de nous parler d’extrême droite. Bon, y a aussi Jacquess-Alexandre qui nous cause décroissance avec des références intellos et tout, c’est chiant mais bon on l’aime bien Jacques-Alexandre en plus il a les cheveux longs et un petit doigt plus grand que l’autre.
Après ça sonne parce que souvent c’est quand on est tranquillement avec des amis que ça sonne, et vous voyez quand ça sonne c’est un peu irréfutable comme le glas, mais en plus aiguë et avec des harmonies moins naturelle. Le glas t’es mort mais y a pas de triton. Enfin bon, comme de toutes façons, mektoub et on n’en parle plus, on est là pour traîner des pieds, non ? Mais avec ardeur et application, sinon comment peut-on se motiver à rechigner, je vous le demande.
Après c’est flou. Je crois que c’est cours, mais je ne suis plus vraiment sûr. C’est très vague et généralement ça fait appelle à des aires cérébrales que j’oublie de réactiver après coup, donc heureusement ça n’a pas trop d’incidence sur mon vrai moi. Je crois qu’on a disséqué un truc, mais je dois confondre avec la pomme que j’ai mangé au déjeuner, m’enfin.
Après-midi, avant de reprendre, on était là, avec des amis, Gertrude, Bobo, Nail et Klo à dire des bêtises sur les bouteilles d’eau quand on a vu approcher le Grand X d’une démarche à la fois débonnaire et conquérante, ce qui n’est pas évident à arborer je vous l’accorde.
- Les gars les filles, vous ne me croirez pas.
- Exact.
- Vous voyez ce coffre ? – dans sa main une boîte de chêne vermoulue. Et bien il contient la célèbre copie de maths de Robert Crâne d’œuf d’Autruche, celle-là même qu’il a jadis arraché à l’ignoble et sans âge –car nulle chronique n’indique un temps où il n’était pas- Blanchard.
Silence dans mon assemblée au rappel de cette sombre histoire transmise de terminale en seconde que tous connaissent, et certains croient.
- Et vous savez quoi ? reprend l’oracle. J’offre la clé à celui qui résoudra ma devinette. Je vous la donne : Sergio Leone.
La copie ? Il veut nous offrir la copie ? Le saint parchemin qui, dit-on, avait été perdu et caché sous les ans ? Aussitôt c’est l’ébullition. Au bout de quelques secondes, Bobo relève la tête, son œil s’illumine un instant – à moins que le soleil ou l’alcool ne m’ait abusé – et d’un coup précis il enfonce son bras dans le bas-ventre de Nail dont le visage – un peu étonné, je l’accorde – se fige. Nous suivons la main de notre camarade qui, après avoir fouillé un peu, ressort en sang mais serré autour d’un petit objet d’or : la clé du coffre. Nous pressons le vainqueur de question.
- Et bien, explique-t-il modestement, c’est simple, Sergio Leone donc Le Bon, la Brute et le Truand, donc Le Bon, la Bête et l’Odieux, donc la Bête au Bon Dieu, d’où il s’en suit : la coccinelle, et enfin le coccyx de Nail.
- Ah, oui, évidemment, maintenant que tu le dis.
Et chacun de regretter de n’avoir saisi la réponse qui pourtant nous avait papillonné devant le nez.
- Bravo, se réjouit le Grand X.
Et il lui tend le précieux coffret, que l’autre ouvre dévotement. Et en effet la relique est bien là, jaunie par le temps.
- On dit, ajouta le Grand X, qu’un peu de la puissance de son auteur y subsiste encore.
- J’avais entendu une autre version, intervint Klo, où il était dit que la copie avait déjà été retrouvée, mais que, sous le joug d’un pari misérable, un triste sire s’était soulagé dessus, et que depuis, Robert Crâne d’œuf d’Autruche, depuis son école d’Ingénieur, avait maudit 100 fois le possesseur du parchemin qui devenait tout aussitôt fiévreusement incontinent.
- Mais pas du tout, assura le Grand X confiant. D’ailleurs je dois y aller, à plus.
Et il disparut dans un grand nuage de poussière. Soudain Gertrude hurla, car le sang qui bouillonnait à torrent et les entrailles dévidées de Nail, qui était maintenant affalé sur le sol et semblait bouder sa défaite à l’énigme, tant qu’il n’avait pas même daigné écouter l’explication, avait fait une tâche sur ses chaussure lorsqu’elle avait marché sur lui. Nous décidâmes de l’amener aux préparatrices d’SVT.
Et encore le triton, et encore ses brumes vaporeuses.
A 4 heures, nous étions les mêmes – sans Nail, nous en voulait-il ? - et tout d’un coup Bobo nous dit :
- Je connais un mec qui bosse en philo.
On se récrie. Le code tacite lycéen est très clair – pour ce qu’il est tacite – là-dessus.
- Impensable.
- Inconcevable.
- Irrecevable.
- Inexprimable.
- Absurde !
Mais il sourit.
- Ah, il plaisantait !
Et tous de rire. Quel boute-en-train. Après on écrit quelques poèmes et on s’insulte, mais c’est toujours pareil, et le sable est vert.
Et un jour il faut rentrer. C’est la vie. Alors on rentre. C’est la vie. Quand on rentre, c’est la vie.
- Alors, mon grand, ta journée ?
- Boarf.
Car en effet boarf, cette journée, comme un grain de plus dont aucun vacancier ne verra jamais cette splendeur particulière qui différencie ces cailloux de diamants, ou ces diamants de cailloux, je ne sais plus, qui vient grossir les plages fatigués d’une Bretagne qui s’endort dans un sniff essuyé sur un mouchoir usagé et passable. Et même pas parfumé. Et las je m’effondre comme un lourdaud phénix devant une connexion. Tiens, Nail est là, je ne l’ai pas revue depuis qu’il s’est vidé de son sang.
« Ls 2nd sav pa diCké, encor ls trace du skalpL » say : - alor y avé koi ds l cofre ?
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