* Ulfer se lève, péniblement, en poussant une sorte de râle. "Qu'est-ce que... Qu'est-ce que cela peut bien être ?" - il ne reconnaît pas sa propre voix, sépulcrale. L'effort est trop grand pour ses muscles atrophiés ; il retombe douloureusement dans son cercueil, tandis qu'une énorme couche de poussière, s’élevant dans l'atmosphère renfermée de la cave, provoque dans son corps anémié une série d'éternuements outre-tombesques, qui pourraient bien être le coup fatal porté à cette longue existence, marquée par une si longue attente, à son déclin. Mais il reste chez cet ancien manitou cadavérique une once d'espérance, que viennent de raviver les rumeurs de bruits semblant provenir de la taverne d'Emma, pourtant située bien loin en contrebas du Palais. "Se pourrait-il ?..." susurre, après quelques minutes durant lesquelles il a repris des forces, le maître de céans. Il vient d'entendre des mots sacrés, resurgis, tels des spectres, de la plus haute antiquité, des années glorieuses de l'Empire du Grimoire, avant la Chute. Et soudain des images, des impressions, remontent au cerveau d'Ulfer ; les neurones se remettent au travail ; il se souvient. "Je ne rêve pas. Il y a quelqu'un à la taverne." Puis les doutes. "C'est peut-être encore ces ... de bots publicitaires !" Ulfer est encore très marqué par les invasions des vandales. Dès l'extinction des feux de la Vesta grimoréenne, des hordes barbares avaient assailli les belles pages du magnifique ouvrage conçu au fil des siècles par les sacro-saints Membres. Mais c'est bien une voix humaine qui s'élève depuis la Taverne. Raistlin. Naketomy. Ils les reconnaît. Malgré tous les éons passés... Vite, il faut qu'il se lève. "Garagatornax !" rugit-il, retrouvant sa vigueur d'antan. Pas de réponse. Cette fois-ci, il se lève vraiment. Une petite formule de commandement et la cave s'illumine, signe qu'il lui reste encore un peu de mana. Enfin, je veux dire, de pouvoir - ne confondons pas la déité titulaire du Grimoire avec un quelconque petit sorcier issu de l'imagination peu débridée d'un énième auteur de fantasy bon marché. "Ah, je voix", soupire-t-il. Garagatornax n'est plus qu'un tas d'ossements rongés. "Fidèle dans son attente, le pauvre. Il va me falloir un nouveau domestique. Mais nous verrons cela plus tard. Ah, cette satanée poussière", rugit le maître du Grimoire en saisissant la poignée.
* "J'ai l'air d'une momie", déclare-t-il en se mirant dans la grande glace de ses quartiers, qu'il vient de rejoindre. "On dirait un pauvre agrégatif qui se voit forcé de retenter le concours une deuxième fois tout en commençant un doctorat." Passant devant de grands tableaux somptueux représentant successivement le massacre par les forces de Morgoth des Noldor lors de Nirnaeth Arnoediad ; la victoire de Sauron en Eregion ; l'excommunication du membre de Bethesda Softworks ayant réduit rétrospectivement à néant les efforts de milliers de Nerevarine en introduisant dans Skyrim l'idée génialement diabolique de détruire Vvardenfell et quasiment tout Morrowind ; et, le plus grand de tous, peint à la semblance de la Cène de Léonard de Vinci, mais dans une version modernisée empruntant aussi à une photo de promotion de Battlestar Galactica, un tableau représentant la joyeuse compagnie du Grimoire, dans l'ancien temps, attablée autour des délicieuses concoctions d'Emma Indoril. Ulfer soupire. Revenir dans ses appartements, c'est le signe que les choses bougent de nouveau. Vite, il faut agir. La fiole l'attend sur la table de nuit bordant son lit Louis XIV. Il la débouchonne avec impatience, tant d'impatience qu'il en perd un peu du contenu en l'avalant goulûment - tant pis : ses forces lui reviennent, c'est déjà ça. Un petit coup dans la glace : ah, les voici de nouveau, ses traits de jeune homme allant vers ses vingt-quatre ans. Beaucoup de naïveté, de stupidité, de folle espérance, dans cette frimousse mal rasée de webmestre retrouvant cette occupation une fois par an, lorsqu'un Grand Ancien a l'idée d'aller faire un tour dans la Taverne. "Allons-y à notre tour !" Et voici notre Ulfer qui s'élance joyeusement vers le vestibule d'un palais semblable à son ego, et, partant, absolument démesuré. Passons rapidement la suite : le voici dans la Taverne. Elle est vide. Hélas, le pauvre nigaud a passé tant de temps à se réveiller, à se préparer, à choisir s'il doit revêtir pour l'occasion un habit de simple particulier ou bien une chlamyde supérieure à celle de Démétrios le Poliorcète... qu'il a laissé filer l'occasion de retrouver les autres. Snif.
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